Entretien
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Véronique Lecauchois

Maire de Saint-Julien-en-Genevois

© Éric Roset

“On ne sait pas quand le tram 15 arrivera”

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Maire de Saint-Julien-en-Genevois, Véronique Lecauchois désespère de voir le tramway 15 arriver. Du fait de plusieurs recours en Suisse, le chantier est à l’arrêt. Plusieurs gros projets sur sa commune sont en souffrance. L’élue se bat contre la cherté de la vie et la fin de la gratuité de l’A40, entre Annemasse et Saint-Julien.

Saint-Julien compte 16 800 habitants à ce jour. Quels sont les avantages et les risques de votre croissance ?

Il existe une certaine incertitude sur les chiffres. Saint-Julien compte environ 17 000 habitants à ce jour, mais la gendarmerie dit qu’on est à 20 000. Il y a beaucoup de personnes qui viennent sur Saint-Julien, attirées par Genève et qui attendent de voir si elles trouvent du travail. Donc, pendant ce temps, elles restent sur place.

Il y a aussi une partie des frontaliers suisses qui ne sont pas déclarés... Sait-on combien ?

Je ne sais pas. Tous les ans, Saint-Julien organise une campagne de communication pour inciter les personnes à se déclarer. Il s’agit de bien leur faire comprendre que ça ne leur coûte rien et que cela permet à la commune de récupérer 1 300 euros par habitant déclaré, en vertu de l’accord fiscal qui lie les deux pays. Cette rétrocession permet d’entretenir les écoles dans lesquelles leurs enfants vont ainsi que les équipements sportifs, les voiries… Cette enveloppe représentait l’année dernière 7,4 millions d’euros. Ce n’est pas rien !

“Que les frontaliers sortent du logement social”

Cet apport est-il suffisant pour faire face aux besoins en matière d’infrastructures ?

Non. Vous vous rendez compte, depuis le début de notre mandat en 2020, nous avons déjà construit deux écoles. Qui dit plus de classes dit aussi restaurant scolaire et accueil périscolaire. À ce stade, ces investissements représentent un total d’environ 12 millions d’euros.

Cette dynamique démographique est-elle une chance ou plutôt un problème, sachant qu’en France certaines communes se vident ?

C’est compliqué à gérer, mais tout dans une commune est compliqué à gérer, et pas simplement l’augmentation du nombre d’habitants. La Haute-Savoie est un département qui est beau, dynamique, attractif. Les gens choisissent plutôt Saint-Julien. Parce qu’Annecy, c’est un peu plus loin pour travailler à Genève.

Disposez-vous d’outils pour maîtriser le développement de votre territoire ?

En décembre 2021, nous avons voté un projet de territoire avec comme objectif une maîtrise de l’augmentation de la population, et des constructions qui vont avec. Nous avons fixé le chiffre d’une croissance de 2 % au maximum, avec une clé de répartition : 60 % de cette croissance pour les 16 communes de la communauté de communes et 40 % pour la commune de Saint-Julien.

Plus de bâtiments, c’est donc plus de taxe d’aménagement pour la commune ?

C’est un paradoxe. D’un côté, nous avons voté un projet de territoire pour maîtriser l’augmentation de la population. En parallèle, on sait que si l’on construit moins d’immeubles, il y aura moins de taxe d’aménagement, donc moins de revenus pour la commune. Nous nous sommes rendu compte au niveau communal, départemental et régional d’une baisse importante des droits de mutation [acquittés à l’occasion de ventes dans l’immobilier neuf ou ancien, ndlr]. Celle-ci entraine une diminution des subventions qui nous sont accordées. Si vous construisez, il y a des habitants qui viennent, tant mieux. Ils font des enfants, tant mieux. Puis, il faut faire les écoles et ensuite des équipements sportifs. Sans oublier la question des transports…

Autre sujet, la mise en place d’une prime de vie chère, soit une somme de 840 euros par an réservée aux agents des trois fonctions publiques. Quels sont son but et ses effets ? Vous proposez de réserver les logements sociaux aux personnes payées en euros. Pourquoi ?

Ce système, que j’ai évoqué auprès du ministre du Travail, prévoirait que les frontaliers sortent du logement social. Le problème est le suivant : prenons une infirmière qui commence à travailler à l’hôpital de Saint-Julien. Elle bénéficie d’un logement social. Un an ou deux ans après, elle part aux HUG, mais elle conserve son appartement. Tous les ans, dans le logement social, vous devez refaire une déclaration par rapport à vos revenus. Si elle a plus de revenus, elle devra payer une compensation. Mais cela aboutira toujours à un logement moins cher que dans le privé. Donc elle reste, bloquant l’accès à des personnes payées au Smic, qui se situe autour des 1 800 euros. On ne peut pas lutter contre ça. C’est le sens de ma proposition au nouveau ministre de la Fonction publique, celle de lier le contrat de travail au bail.

Nous sommes dans un territoire à deux vitesses, où des gens sont payés en euros, et, à côté, d’autres le sont en francs suisses. Or la valorisation du franc ne fait qu’aggraver cet écart. Est-ce dangereux ?

Il y a deux populations et le tout est lié au franc. Les logements en zone frontalière française sont chers. Pour un agent qui travaille dans le secteur public, à Lidl ou à Intermarché, se loger ici devient impossible. De même qu’il est impossible pour un jeune couple d’acheter une maison. Nous avons eu ici, à la mairie, le cas d’une personne qui travaillait au service communication. Cette jeune fille, mariée avec un enfant, avait pour objectif de vie de s’acheter une maison. Elle n’a pas pu l’acheter ici, et elle est partie en Bretagne. Vous voyez, nous faisons face à de gros problèmes de recrutement et il en va de même dans l’éducation nationale et la santé. À Saint-Julien, nous avons une école qui s’appelle Mandela et accueille plus de 50 élèves. Le turn-over des enseignants est de 70 % tous les deux ans.

Une mesure d’aide financière concrète, c’est de garantir le paiement d’une caution pour un loyer…

Oui, par exemple, que la collectivité, l’État ou la sous-préfecture se porte garant à la place de l’agent.

Saint-Julien a deux gros projets, celui de Perly et celui du quartier Gare. Mais ils sont à l’arrêt en raison du blocage de la prolongation du tram 15, du fait notamment de recours privés – par une station-service entre autres. Comment réagissez-vous à cette situation ?

C’est votre mode de fonctionnement, qui a ses qualités et qui permet aux citoyens de s’exprimer. Vous savez, le tram avait été initialement prévu pour 2007 ! Saint-Julien et la communauté de communes ont fait leur part de travaux pour accueillir le tram 15. Nous avions une crainte, celle d’une opposition des élus de Perly [en Suisse, nldr]. En fin de compte, le canton de Genève a trouvé un terrain d’entente, avec le principe d’une route de contournement. Ici, les travaux ont duré trois ans. Ça a pénalisé, vous l’imaginez, les habitants, les entreprises, les commerces. Et le tram n’est pas là ! Je suis allée voir Pierre Maudet, conseiller d’État en charge des mobilités et de la santé, avec Florent Benoît, le président de la communauté de communes. Cela a été l’un de nos premiers rendez-vous depuis sa nomination. Mais on ne sait toujours pas quand le tram arrivera, ou même s’il arrivera.

Connaissez-vous les dossiers des recourants ?

Il y a huit recours suisses (auprès du Tribunal fédéral administratif), dont deux de stations-service, d’un fleuriste (tous craignent une baisse du trafic) et d’un privé, parce que la route de contournement passera devant chez lui. Ils sont venus lors de la réunion publique organisée à Saint-Julien en avril 2024, où j’avais demandé à M. Maudet d’être présent. Il est venu avec son directeur des transports. Il y avait des recourants dans la salle qui ont estimé avoir été mis devant le fait accompli. Les Français étaient assez remontés et les recourants ont assuré qu’ils n’étaient pas contre le tram, mais pas devant chez eux en somme.

Quid donc des projets quartier Gare et Perly ?

Cela fait cinq ans qu’on travaille sur le projet du quartier Gare. C’est une concession d’aménagement qui a été signée en janvier 2020, juste avant notre arrivée aux responsabilités. La seule chose qu’on ait pu modifier, c’est d’intégrer une école, une crèche, une résidence senior. Ce projet prévoit un pôle multimodal et un P+R de 530 places. La première pierre n’est même pas posée. Un hôtel est programmé, mais l’exploitant dit qu’il ne va pas se lancer pour le moment. À côté, la rivière Arande doit être renaturée avec un parc autour et, de chaque côté, 500 futurs logements. En parallèle, il y a l’actuel P+R de Perly, vers la frontière, où il va y avoir à la place près de 130 logements.

“Pour un agent qui travaille dans le secteur public, se loger ici devient impossible”, constate Véronique Lecauchois. Image : Éric Roset

Ces projets sont liés entre eux, mais aussi au tram 15 ?

Oui. Le montage financier prévoyait la construction du quartier Gare par l’aménageur, UrbanEra, filiale de Bouygues Immobilier. La vente des terrains aux promoteurs leur permettait la construction du P+R, et après ils faisaient Perly. Mais l’État a exigé qu’on commence par la renaturation de la rivière. Depuis, UrbanEra se dit qu’il faut commencer par Perly. Mais c’est compliqué : il y a un permis de construire pour trois opérateurs. L’un d’eux s’est désisté, il y a trois recours. L’un portait sur le plan local d’urbanisme, les deux autres sur le projet en lui-même. En juin, les négociations entre UrbanEra et les deux recourants devaient aboutir. Ils vont commercialiser. Si cela marche bien, ils pourront commencer depuis le P+R, mais pas avant 2026.

Il n’y aura donc pas de travaux en 2025, que ce soit à la gare ou à Perly ?

Non. Tout cela traîne parce que le tram n’est pas là. Il devait sortir en 2024-2025, après c’était 2027 et maintenant, c’est début 2029. Je n’ose plus parler de date aux habitants. En plus, des dotations de l’État sont prévues pour ce tram. Si on ne commence pas les travaux, elles risquent de partir ailleurs.

Image : Éric Roset

Que pensez-vous du projet de métro léger porté par Pierre Maudet et qui aurait une station à la gare de Saint-Julien ?

Dans l’absolu je le trouve formidable, ce projet. Mais, je m’excuse, quand on commence quelque chose [le tram 15], on finit !

C’est une décision de justice suisse…

Je le sais bien, mais en tant qu’élus, nous sommes décrédibilisés. On nous pose la question : “Alors le tram, il arrive quand ?” Les habitants l’attendent. Il y a des gens qui travaillent ici, qui veulent investir...

“Nous faisons face à de gros problèmes de recrutement”

Quelles autres mesures en matière de mobilité attendez-vous ? Nous pensons notamment aux liaisons ferroviaires TER entre Annemasse et Saint-Julien, ou aux TPG…

Deux fréquences ont été rajoutées sur la ligne de TER Annemasse-Bellegarde. Le trafic ferroviaire est de la compétence de la Région. Le nouveau président, Fabrice Pannekoucke, est l’ancien maire de Moûtiers, en Savoie. Nous devons le rencontrer avec le président du conseil départemental de la Haute-Savoie, Martial Saddier. Nous avons plusieurs projets à lui présenter.

Que pensez-vous du projet Vitam, l’ex-Macumba, reconverti en centre commercial, à Neydens ?

C’est un projet que la commune de Neydens porte, auquel nous avons été associés dès le début. Saint-Julien possède un petit centre-ville, qui ne peut pas accueillir des grandes enseignes parce qu’on n’a pas les surfaces. De son côté, Vitam doit proposer une offre complémentaire.

C’est une nouvelle concurrence pour les supermarchés de la commune, non ?

Si vous allez voir Intermarché, Lidl ou Grand Frais, ils vont vous dire que oui. Mais nous avons besoin de concurrence. Les prix baissent déjà. Avec ce projet, il est aussi question du futur boulevard urbain à l’entrée sud de Saint-Julien. Il faut qu’on travaille avec le Département pour l’élargir. Le coût sera de 40 millions d’euros.

Cela veut dire attirer plus de voitures au centre commercial ?

Il n’y a pas de trottoir pour aller à Vitam. Il faut que tout le monde puisse circuler, piétons, cyclistes, voitures et transports en commun. C’est compris dans le projet.

La fin de la gratuité a été annoncée pour l’A40, entre Annemasse et Saint-Julien. N’est-ce pas naturel de faire payer une autoroute ?

C’est un contournement d’agglomération. Je me bats pour faire admettre qu’on a une problématique de cherté de la vie sur notre territoire pour les personnes payées en euros. En décembre 2024, le gouvernement a validé une indemnité de résidence. Et maintenant, ils veulent faire payer, entre autres, les personnes rémunérées en euros pour un morceau d’autoroute qui va de Saint-Julien à Annemasse ! Où est la cohérence ?

Quand finira la gratuité ?

En 2029. Nous avons envoyé deux ou trois lettres signées par les deux présidents de la communauté de communes du Genevois français et d’Annemasse Agglo, et par les deux maires concernés, ceux d’Annemasse et de Saint-Julien. Nous avons organisé une conférence de presse. Tout récemment, nous avons reçu une réponse indiquant que la fin de la gratuité était actée. Je rappelle que le Département, qui avait décidé d’arrêter de payer pour ce bout d’autoroute en 2015, a prolongé sa subvention jusqu’en 2021-2022. Je comprends aussi sa position de vouloir dépenser ailleurs ces 300 millions.

“A40 payante ? Il y a un risque de report du trafic sur les petites douanes”

Pour vous, c’est à l’exploitant de payer ?

Oui, l’ATMB est bénéficiaire. On parle d’un tronçon de 15 km…

Est-ce que, sur ce point, les élus du Grand Genève vous soutiennent ?

Nous souhaitons que Genève défende aussi cette gratuité. Le risque, c’est le report de trafic sur les routes annexes et les petites douanes. Ce qui change, c’est que depuis que le Pôle métropolitain du Genevois français [qui regroupe toutes les intercommunalités françaises autour du canton de Genève, ndlr] dispose de la compétence en matière de mobilité, il travaille en lien étroit avec Genève. L’idée est de rentrer par cette porte pour demander aux Suisses de nous soutenir.

Il y a aussi le sujet des déserts médicaux en France. Pierre Maudet disait que la Suisse pourrait d’une manière ou d’une autre investir dans l’offre médicale en France voisine. Qu’en pensez-vous ?

Je comprends que des infirmières aillent travailler en Suisse. Mais il faut fixer des règles. Quand une infirmière est formée pendant un an ou deux à l’hôpital de Saint-Julien, puis part à Genève, cela pose question. Ses études ont été payées par la France. On parle d’un montant de 300 000 euros. On pourrait dire qu’elle doit trois ou quatre années à l’hôpital dans lequel elle a été formée.

La sous-préfecture a subi un incendie en 2022. Vous venez d’obtenir 1 million du Département pour sa reconstruction. Le chantier peut démarrer ?

Ce bâtiment appartient à l’État. Sa reconstruction va être lancée, nous sommes très contents. Les travaux devraient se terminer fin 2027. Vous voyez, la sous-préfecture sera rouverte avant le tram !

Article tiré

du N°

10

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Véronique Lecauchois

Native de Chamonix, Véronique Lecauchois est maire de Saint-Julien-en-Genevois depuis 2020. Cette ex-socialiste avait monté une liste rassemblant des candidats issus de la droite et de la gauche, battant le maire sortant Antoine Vielliard avec près de 60 % des voix. Elle avait précédemment été conseillère municipale d’Annemasse de 1981 à 1993. Véronique Lecauchois a fondé et dirigé une entreprise de communication. Elle a remis en 2023 un livre blanc sur la vie chère au ministre de la Fonction publique. Dans la foulée, le gouvernement avait adopté une prime pour les agents publics.