“Le PAV sera l’endroit où il faut être”
Président de la fondation PAV, Robert Cramer décrit le devenir du projet Praille-Acacias-Vernets. Les nouveaux quartiers de cet immense ensemble seront achevés à horizon 2060. Le PAV constituera un programme à la fois dense et vert, avec des tours, des jardins et la remise à ciel ouvert de deux cours d’eau. L’ex-conseiller d’État appelle à la vigilance quant aux futurs équipements publics.
Le public attend de voir le projet Praille-Acacias-Vernets (PAV) démarrer. Quels sont ses objectifs et quand des bâtiments sortiront-ils vraiment de terre ?
Deux projets ont déjà démarré, celui appelé Quai Vernets, situé sur l’ancienne caserne militaire du même nom et le Campus Pictet de Rochemont réalisé par la banque Pictet. Ils sont situés de part et d’autre de la route des Acacias, le premier à proximité de l’Arve. On trouvera au PAV 12 000 logements et 6 000 nouveaux emplois — il y en a actuellement 20 000. Ce seront donc 25 000 à 30 000 personnes qui vont venir habiter dans ces quartiers qui se répartissent sur une surface de 230 hectares.
À quel horizon le projet sera-t-il complètement achevé ?
Aux alentours de 2060.
“Des tours hautes jusqu’à 170 mètres”
Comment le PAV va-t-il modifier les polarités de Genève ? Ce sera un nouveau centre-ville, un nouveau Genève ?
Ce dont je rêve, c’est que les banques, les avocats et les fiduciaires se déplacent dans le PAV. Ils viendront ici parce que c’est plus moderne et 24 jusqu’à “Des tours hautes 170 mètres ” mieux équipé. Le PAV, avec ses tours, ses transports publics, sera l’endroit où il faut être. Ce mouvement libérera un certain nombre de lieux qui, historiquement, avaient été dédiés aux logements. Je pense à la rue de la Rôtisserie par exemple ou aux immeubles situés autour de l’université. Le développement de ce nouveau quartier pourrait donc avoir comme effet collatéral de revitaliser le logement en centre-ville. Le PAV est exceptionnellement desservi en transports publics. Je ne sais pas s’il existe d’autres quartiers en Suisse ou dans le monde qui accueillent deux gares de chemin de fer. Sans oublier deux lignes de tram. Et, bien sûr, la mobilité douce se développera au sein du PAV, grâce, entre autres, au prolongement de la Voie verte. Ce seront donc des quartiers adéquats pour les activités, comme pour les logements. Il faut noter que la construction du PAV va s’étaler dans le temps. Chaque fois, nous allons apprendre des choses sur les éléments qui auront été réalisés, comme nous apprenons déjà de Pont-Rouge ou encore du projet des Vernets. Ce dont je rêve aussi, c’est que nous puissions réussir à développer un projet exemplaire par rapport à la ville de demain. La ville du XXIe siècle se construit avec de la nature, des espaces verts. Certes, on y plante des immeubles qui ne peuvent être bas, car ils doivent posséder des gabarits ambitieux. Mais dans les immeubles, on doit trouver les équipements publics, un local de musique pour les jeunes, un lieu de réparation pour les bicyclettes, une épicerie, un potager coopératif…
“Le quartier sera deux fois plus vert qu’aujourd’hui”
La contrepartie de cette nature, c’est donc qu’il faut plus de hauteur dans le bâti ?
Il faut avoir une vision globale. On n’a plus envie dans le Grand Genève d’aller prendre des morceaux de la zone agricole pour développer des habitations en périphérie. L’intérêt et la difficulté de l’exercice, c’est qu’on vise une densification réelle. Dans le même temps, on veut avoir le plus possible d’espaces de pleine terre pour faire pousser les arbres. Au lieu de faire le Vieux-Carouge avec de petites maisons, on le réalise avec plus d’élévations.
C’est Central Park ?
Ou Singapour (sourire). C’est haut, mais il y a des jardins magnifiques autour des immeubles. Vu que ce sera dense, il faudra être particulièrement attentif à la qualité des espaces extérieurs. Cela fait partie du travail de la fondation PAV. On dit aux promoteurs : on vous accorde la possibilité de construire votre immeuble, mais vous devez participer financièrement à la réalisation d’un parc qui ira autour. Par exemple, la banque Pictet, qui réalise le Campus Pictet de Rochemont, participe pour partie au financement des espaces publics dans lesquels est intégrée la mise à ciel ouvert de la Drize.
Quelle sera la place de la voiture dans ces quartiers ?
Il faut qu’en marchant moins d’un quart d’heure, vous ayez tout : l’école, la banque, le dentiste, l’épicerie… Si vous avez tout cela, vous n’avez pas besoin d’auto.

Verra-t-on des immeubles sans parking ?
L’immeuble qui va être construit juste à côté de nos bureaux, à l’Étoile, aura un parking limité. Notre parking pourra être mutualisé avec celui nouvellement construit.
Donc vous allez désartificialiser, puisque c’est l’industrie qui est aujourd’hui présente avec pas mal de parkings…
Il n’y a pas de doute. Le quartier de demain sera deux fois plus vert que le quartier d’aujourd’hui. Il y aura notamment un parc d’une surface comprise entre six et huit hectares, localisé sur le site de l’actuel centre commercial MParc et le centre logistique genevois de la société coopérative Migros au pied des tours de Carouge.
Les immeubles seront-ils globalement hauts ou y aura-t-il des variations ?
L’idée est de construire des morceaux de ville, pas un morceau de ville. Le PAV se place en continuité des villes de Genève et de Carouge et la morphologie des bâtiments tiendra compte de ce qui existe. Pour vous donner un exemple, Acacias 1, quartier situé le long de la route du même nom, comportera un front de rue composé d’immeubles de huit étages sur rez-de-chaussée. Non loin de là, la rue Ternier accueille de vieilles maisons. Cette partie sera totalement préservée. Aux Vernets et aux Acacias, des tours de 80 mètres sont prévues. À l’Étoile, dans une partie dotée d’entreprises de services et de grandes sociétés, sont également prévues quatre tours de 90 mètres ainsi que trois autres plus grandes, qui iront jusqu’à 170 mètres, mais également des îlots de 30 mètres. On logera les gens loin du bruit. Les bureaux peuvent être installés près de voies ferroviaires.
Avez-vous à l’esprit des quartiers que l’on pourrait regarder comme une source d’inspiration pour le PAV ? Confluence à Lyon par exemple ?
Ce sont des lieux qui ont été pensés au XXe siècle. Lyon Confluence, c’est 17 000 habitants à terme. Le PAV en comprendra entre 25 000 et 30 000. D’un côté, ce sont 150 hectares et 15 000 salariés, d’un autre 230 hectares et 20 000 emplois. Si l’on regarde les chiffres, le PAV c’est environ 50 % de plus que Lyon Confluence. On parle beaucoup à Paris de l’île Seguin. Elle compte 74 hectares et 12 000 habitants. Le seul quartier d’Europe en mutation plus important que le PAV est à Copenhague. Il y a là un écoquartier de 200 hectares, intégrant 40 000 logements.
“On vit une densification réelle”
Certaines personnes considèrent que le quartier de Pont-Rouge, sis en bordure du PAV, préfigure la suite. Est-ce un modèle du PAV ?
Je ne crois pas. Les préoccupations qui sont au coeur du PAV sont nouvelles. On trouve désormais au centre des préoccupations le zéro carbone et la question du changement climatique. Il faudra être attentif à tout récupérer dans la construction, à soigner la gestion de l’eau, l’aération naturelle des quartiers, etc. Le projet prévoit notamment la remise à ciel ouvert de deux cours d’eau, la Drize et l’Aire. Pont-Rouge ? C’est un projet né à une époque où les préoccupations liées au carbone ne faisaient pas partie de la planification. Cela dit, ce quartier possède des points forts. C’est un projet urbain qui évite de gaspiller de la zone agricole. Il est très bien connecté aux transports publics. Pont-Rouge a aussi bénéficié d’un accompagnement social pensé bien en amont. Les faiblesses ? Par comparaison, le PAV contiendra plus de pleine terre, d’arbres et d’eau.
Au sujet de Quai Vernets, ce projet s’est attiré de nombreuses critiques en ce qui concerne la place donnée aux espaces verts. C’est un mauvais départ pour le PAV, non ?
N’étant pas partie prenante de ce projet, il est difficile pour la fondation de prendre position. Mais les Vernets nous apprendront des choses. On voit qu’il y a de la verdure, mais c’est l’organisation du quartier qui est complexe. Il faut comprendre que le projet Quai Vernets constitue un changement d’échelle important. Il faudra qu’il fasse ses preuves et à partir de là, nous pourrons en tirer des leçons. Pour le PAV, il faudra bien réfléchir aux infrastructures publiques, aux écoles, crèches, bibliothèques, etc. Les communes doivent faire état de leurs besoins très en amont pour éviter que les espaces publics ne soient prétérités. Un exemple spectaculaire est celui des écoles du PAV, qui en comprendra quatre ou cinq. Que feront les enfants quand ils auront douze ans ? Il n’y a pas encore de cycle d’orientation (CO) de prévu et c’est un point qui m’interroge beaucoup. C’est d’autant plus problématique qu’un CO prend beaucoup de place. Je crains que dans quinze ans, on finisse par en construire un dans un parc.
“Deux tiers des logements seront d’utilité publique”
Il s’est passé la même chose à Pont-Rouge où un parc avait été prévu au tout début, avant d’être dédié à une école, en construction actuellement…
Eh bien, voilà ! De la même façon, si une commune dit qu’elle a besoin d’une crèche et puis que quelqu’un veut construire une tour ou un bâtiment haut, je peux lui dire : “Construisez, mais alors on intégrera une crèche dans votre projet.” Cela fait partie de la négociation. Si on attend que l’immeuble soit terminé, que le promoteur ait prévu un salon de coiffeur ou une épicerie à l’endroit où l’on veut installer une crèche, on nous louera la surface nécessaire au prix prévu pour le coiffeur ou l’épicier.
La question des droits de superficie détenus par les entreprises a beaucoup fait parler. Il faut reloger des activités hors du PAV. Faites-vous place à des blocages ?
Cette vision du blocage ne se concrétise pas. La fondation est propriétaire de terrains et s’occupe du foncier. Elle a hérité des droits de superficie (DDP) de la fondation pour les terrains industriels de Genève (FTI). L’objectif, c’est que les entreprises nous remettent leurs DDP moyennant un relogement et qu’on puisse les allouer à nouveau tout en restant propriétaire. Ce faisant, nous pouvons indiquer ce que nous voulons pour ces terrains. En tant que propriétaire, la fondation peut être beaucoup plus prescriptive que l’État. Avant de délivrer une autorisation de construire, l’État s’assure de savoir si les tuyaux sortent au bon endroit. Nous, nous pouvons signaler qu’on aimerait que soit utilisé ici tel ou tel matériau de construction. Une autre solution pour dégager de la place est de payer les entreprises qui cessent leurs activités pour qu’elles remettent leurs droits. Dans la vraie vie, ce sont les promoteurs eux-mêmes qui viennent nous voir avec une solution clés en main. Tout le monde sait que nous réalisons le PAV ! Les acteurs économiques s’y intéressent. Quand nous les rencontrons, le point sur les droits de superficie est souvent déjà discuté et suivi d’une proposition. Jusqu’à maintenant, 100 % des cas se sont réglés tout seuls. Cela dit, nous ne sommes pas encore rentrés dans le dur. La caserne qui était installée aux Vernets a disparu. C’était facile. La banque Pictet, dont le projet débouchera sur des activités et du logement, s’est débrouillée toute seule. Le dur, ce sera la partie du PAV nommée Acacias 1, une zone sise entre la route des Jeunes et la route des Acacias, où sont prévus plus de 2 000 logements. Une multitude d’acteurs y sont présents et on peut trouver des bâtiments avec trente copropriétaires. Il s’agira de réunir ces parts pour faire naître les projets.
De quels leviers dispose la fondation PAV dans ces échanges fonciers ?
Pour qu’une entreprise vende ses droits de superficie, elle doit en informer la fondation. Cette dernière peut aussi préempter la vente, ce que nous ne faisons pas si l’acheteur arrive avec un bon projet, sachant que nous pourrons toujours intervenir plus tard au moment du changement d’affectation. À ce moment-là, un nouveau droit de superficie devra être délivré que nous pourrons assortir de conditions.
Une question sur les propriétés par étages. Est-ce un point de tension avec certains partis qui vont en demander plus ?
Souvenez-vous que la maîtrise foncière publique est d’environ 75 % dans le périmètre du PAV. Il reste donc 25 % pour réaliser d’autres choses. Les PPE classiques ne seront pas chez nous, cela ne veut pas dire qu’il n’y en aura pas. Sur nos terrains, on trouvera peut-être un peu de PPE en droit de superficie. Ce ne serait pas nouveau pour Genève.

Quelle sera la part des logements sociaux ?
Sur la partie que l’on doit développer, le taux sera de deux tiers de logements d’utilité publique, soit plus de 8 000 logements. Parmi eux, il y aura des logements qui ne pourront être développés que par les collectivités publiques et qui sont destinés à des ménages ayant durablement besoin d’un appartement subventionné. Une autre partie sera dédiée à des logements fortement subventionnés et à des logements mixtes. Un grand nombre de logements va se trouver en zone de développement où l’État exerce un contrôle des prix.
Est-ce la PPE qui va permettre de financer ces logements ?
Pas du tout.
Il n’y a aucun lien entre les deux ?
holaJe ne le vois pas vraiment. D’abord pour nous, la PPE sera quelque chose de marginal. La fondation PAV travaille sur des terrains en mains publiques, avec des exigences très élevées sur les questions sociales. Il ne faut pas perdre de vue que nous avons dans notre panier des lieux qui accueilleront des activités commerciales. Les projets seront en partie portés par les loyers de ces activités.
Après quelques péripéties lors du lancement, quel bilan tirez-vous du Léman Express (LEX) pour lequel vous vous êtes beaucoup engagé ?
Je crois que je n’exagère pas en disant que cela fonctionne au-delà de toutes les espérances. Nous sommes au-delà des attentes par rapport aux projections. J’habite le quartier des Eaux-Vives, je prends le LEX pour venir ici, à Pont-Rouge. Cela ne me prend que quelques minutes. C’est un moyen de transport extrêmement rapide et efficace.
Que reste-t-il à améliorer ?
Le LEX est extrêmement satisfaisant jusqu’à Annemasse. Mais il manque son prolongement dans toute la France voisine. Pour aller à Annecy, il faut passer par La Roche-sur-Foron. On perd une demi-heure de trajet ! La prochaine priorité sera d’abandonner le détour par La Rochesur-Foron. Cela avait été évalué, sauf erreur, à 100 millions d’euros à l’époque où il était question des Jeux olympiques d’Annecy. Ce n’est rien du tout. Genève a mis un milliard et demi pour le Léman Express ! Il faut capitaliser sur cet outil, car aujourd’hui Genève a dépassé la barre des 100 000 frontaliers. Il faudrait aussi doubler la voie qui va vers Thonon. La région aura bientôt un tram qui ira jusqu’à Saint-Julien, mais il est évident qu’il faudra relier Saint-Julien à Annemasse par un train. Il s’agit de valoriser le LEX en allant chercher des clients en France.
La collaboration franco-suisse, à l’échelle du Grand Genève, fonctionne-t-elle bien ? Des projets sont-ils montés entre le Canton, la Région Auvergne-Rhône-Alpes, les intercommunalités… ?
J’ai l’impression qu’il y a eu une phase où tous les acteurs se sont reposés sur leurs lauriers et qu’aujourd’hui, nous nous trouvons plutôt dans une phase de reprise. Des choses intéressantes ont lieu. Prenez le prolongement du tram jusqu’au quartier du Perrier, à Annemasse. C’est socialement formidable ! Le tram ira dans un quartier où habitent des gens réputés réprouvés. En installant un tram, vous les installez au coeur du Grand Genève. C’est la citoyenneté qui se joue à travers ce projet. Le tram servira aussi à aller du Perrier au coeur d’Annemasse. Je vois que les infrastructures de transports publics se développent. Le tram de Ferney est en bonne voie, le prolongement vers Saint-Julien, c’est parti. Les chantiers sont en cours. C’est très positif.
Article tiré
du N°
1
