“Nous allons connaître des pics de chaleur de 45 degrés”
Alfonso Gomez est conseiller administratif de la Ville de Genève, en charge des espaces verts et de la Gérance immobilière municipale. Il explique les efforts de végétalisation et précise les sites prioritaires pour planter. Et exprime une vigilance sur la densité.
Il y a eu un grand débat au sujet de la passerelle piétonne du Mont-Blanc. Le résultat des urnes est négatif. Comment interprétez-vous ce refus ?
Je suis déçu parce que c’était un projet en faveur de la mobilité douce, de la mobilité piétonne en particulier. Or il faut développer ces infrastructures. Cela dit, je comprends un certain nombre de réticences. C’était quand même un investissement important : 25 millions pour la commune, 55 millions au total. Une partie des Genevois se sont dit : pourquoi ne pas utiliser les ponts existants comme le pont du Mont-Blanc et opérer un vrai transfert modal ?
Pourquoi en effet n’avoir pas dès le départ envisagé de réduire le nombre de voies automobiles sur le pont ?
J’avoue que cela aurait été la solution idéale, mais aujourd’hui, la majorité au Grand Conseil est contre cette approche. Il n’y a pas non plus de volonté de la part du Conseil d’État d’aller dans ce sens.
“On doit mettre un frein à la construction dans certains quartiers”
Ce scénario sera-t-il réinterrogé ?
La situation actuelle n’est pas viable. Aujourd’hui, sur la rive gauche, vous avez de plus en plus de vélos qui partagent un bout de trottoir avec les touristes qui viennent admirer l’horloge fleurie. Et puis, il y a cette étroite bande cyclable côté amont du pont. Cet aménagement constitue un petit progrès, mais la sécurité sur ce tracé est questionnable.
La COP29 est close. Est-ce que vous trouvez qu’en matière de transition écologique, la Ville de Genève en fait assez ?
La Ville a mis en place une stratégie d’urgence climatique ambitieuse. En premier lieu, il s’agit d’oeuvrer pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’administration ne représente que 3 à 5 % des émissions de la ville, mais elle doit faire sa part. Nous allons porter nos efforts sur nos gros consommateurs et producteurs de CO2 : la piscine des Vernets, l’incinération au cimetière Saint-Georges, la Cité-Jonction, ce grand ensemble que la Ville va rénover, comme elle l’a fait aux Minoteries. Il s’agit d’adapter la ville au changement climatique puisque, quoi que l’on fasse, nous ferons face à une augmentation des températures. Nous allons connaître des pics de chaleur de 45 °C sur des périodes d’une semaine. Il y aura aussi des périodes de fortes pluies, des périodes de crues. Pour y faire face, il faut transformer la ville en “éponge”, avec de plus en plus de surfaces en pleine terre. Cela a été l’une des raisons de mon opposition au projet initial d’extension souterraine du Musée d’art et d’histoire sous la butte de l’Observatoire, où l’on bénéficie justement de cette pleine terre. Nous voulons protéger et développer la canopée.
Pont-Rouge, Étang, Vergers : que dites-vous de la politique pilotée par le Canton en matière de création de logements ?
Je reconnais la nécessité de logements. Mais on crée parfois des quartiers un peu hors-sol, sans réfléchir à ce que la réhabilitation ou la reconstruction permettrait. À l’Étang, il y avait des bâtiments industriels qu’on aurait peut-être pu utiliser. L’étude n’a pas été faite. Le deuxième point, c’est qu’on ne peut pas augmenter l’urbanisation sans réfléchir aux espaces communs et, surtout, aux espaces verts. Genève est déjà la ville la plus dense de Suisse, avec presque 13 000 habitants au kilomètre carré. On devrait mettre un frein à la construction dans certains quartiers. C’est ce qui a été fait pour le futur quartier de Bourgogne. La densité y sera de 1,6. Alors qu’aux Vernets, elle atteindra de 2,8 à 3,2. Un autre point a trait aux bureaux vides, qui sont légion à Genève. Je sais bien qu’on ne pourra pas tous les transformer en logements, mais c’est possible pour une partie d’entre eux en tout cas.
Antonio Hodgers est issu du même parti que vous, mais vous êtes opposé à sa vision du développement…
Je ne suis pas opposé à lui. Son point de vue, je le comprends, c’est de dire : nous avons besoin de logements et il faut densifier la ville. Moi, comme magistrat, je dois faire attention à ce que cette densification ne se fasse ni au détriment du bien-être des habitants, ni à celui de cette fameuse ville “éponge”.
Pourtant, il manque des logements à Genève. Est-ce que vous pensez qu’il y a plus de place en France voisine ?
La France voisine connaît un grand mitage du sol. Je ne peux pas défendre cela. En revanche, dans cette région qui connaît une forte croissance, on doit, à un moment donné, s’interroger sur la possibilité d’y favoriser l’implantation d’entreprises. Comment pourrait-on assurer aux entreprises les mêmes garanties de sécurité au sens large, juridique notamment, que dans le canton ? La réponse pourrait s’apparenter à des zones franches, avec une législation commune sur l’imposition, les niveaux de salaire, etc.
Vous vous étiez opposé au projet de la Cité de la musique, refusé en votation et de très peu. Finalement, le public n’aura pas accès au parc des Feuillantines, situé au-dessus de la place des Nations. Est-ce qu’on n’a pas perdu à tous les niveaux ?
Il y a en effet aux Nations ce parc, qui n’est pas public à ce jour, mais qui continue d’exister. Les zones de verdure sont suffisamment rares pour qu’on veuille les protéger. Je regrette bien entendu que l’on n’ait pas accès à ces lieux. Aujourd’hui, les parcelles en question sont partagées entre le Canton et les Nations unies. Il faudrait donc les réunir. Les procédures des Nations unies sont assez complexes, puisque c’est l’Assemblée générale, à New York, qui doit prendre la décision. La situation était bloquée à la suite du refus du projet, il a fallu laisser passer un peu de temps, mais le dossier n’est pas clos. Entre-temps, nous avons entrevu l’opportunité d’acquérir la campagne Masset, sur la rive droite, proche des quartiers populaires des Ouches et de la Concorde, confrontés à une impressionnante densification. Malheureusement, le PLR et les Verts-libéraux ont annoncé qu’ils s’opposeraient à l’achat validé par le Municipal, par le biais d’un référendum. On vient sûrement de rater une occasion unique de créer un nouveau parc en pleine zone urbaine. C’est regrettable.
La Ville a préempté ?
Pour préempter, il y a des règles très strictes, qui ne s’appliquent pas ici. Zep, propriétaire du domaine, a fait une offre à la Ville, les services ont fait une contre-offre. Les partis opposés jugent le coût trop élevé. Or, il était en adéquation avec le prix du marché. Pour la petite histoire, la Ville avait acheté en son temps le parc des Eaux-Vives. Le prix à l’époque était considérable, dans des proportions bien différentes encore ! Aujourd’hui, il ne viendrait à l’idée de personne de remettre en question cet achat.
Vous vous êtes engagé à ce que, pour un arbre coupé, on en plante trois, et vous visez une couverture arborée de 30 % dans la ville. En prenez-vous le chemin ?
Depuis que je suis arrivé au Conseil administratif, en 2020, le Service des espaces verts a planté plus de 2 500 arbres. C’est quatre fois plus que ce qui a été fait lors de la législature précédente. Une attention particulière est portée à leur préservation : le Service des espaces verts ne procède à des abattages que pour des raisons sanitaires ou de sécurité. En 2019, la canopée représentait 19 % du territoire. Nous sommes aujourd’hui à 21 % ou 22 %. L’objectif, c’est d’atteindre 25 % en 2030.
Vous plantez là où il y a des îlots de chaleur ?
Nous menons d’abord un combat pour préserver l’arborisation existante. Avec le refus de la Cité de la musique, nous avons sauvé 160 arbres. En nous opposant au parking Clé-de-Rive, nous avons aussi protégé les arbres existants. Le projet de piétonnisation de Rive prévoit aujourd’hui la plantation de 150 arbres sur cette nouvelle esplanade, sans abattage. Aujourd’hui, c’est un réflexe : quand un promoteur vient avec un projet, la discussion porte en premier lieu sur les arbres qui seraient touchés.
Récemment, un arbre centenaire a été abattu dans le quartier de la Servette...
C’était un magnifique cèdre de 120 ans. Il se trouvait sur un terrain privé, inclus dans un plan localisé de quartier (PLQ) voté il y a presque quinze ans – contre lequel les Verts étaient les seuls à s’être opposés. J’ai demandé de surseoir à l’abattage, pour essayer de négocier, puis pour voir si on pouvait le transplanter ailleurs, mais c’était impossible. Il faut changer la législation : un PLQ doit avoir une durée limitée.
Avez-vous identifié des secteurs prioritaires pour planter ?
Oui. Certains quartiers comme les Pâquis ou la Jonction n’arrivent qu’à 7 % de couverture arborée. Nous avons mené dans ces quartiers une étude complète sur les possibilités de planter sur des places de parc. Ces espaces présentent le plus d’opportunités, les trottoirs étant souvent encombrés de réseaux. Aux Pâquis, le résultat est prometteur. Nous allons planter dès le mois de mars plus de 80 arbres, en remplacement d’une soixantaine de places de stationnement. Nous avons aussi travaillé sur la végétalisation des cours intérieures qui appartiennent à la Ville. Deux espaces ont déjà été réalisés. Sur la fameuse Croix verte [un ensemble de rues situées autour de l’école des Pâquis, ndlr], le département de ma collègue Frédérique Perler est en train d’avancer sur une solution. Nous reviendrons aussi avec des propositions à la Jonction.

“Il faut transformer la ville en “éponge”
Comment pouvez-vous supprimer des places de parking sur le domaine public ? C’est le Canton qui a la main, non ?
La loi dit que si l’on supprime une place de parking, on doit la compenser en surface ou en sous-sol dans un périmètre de 500 à 750 mètres, sauf dans l’hypercentre ou si l’on supprime des places de parc pour la mobilité douce. Ces règles-là sont évidemment respectées. La Ville fait ses propositions, que le Canton doit valider.
Ce système, inconnu en France, répond à une loi qui freine la transition écologique, non ?
Absolument. Cette loi a été initialement conçue par les milieux pro-voitures, avec un objectif : ne plus toucher aux places de parc.
La Ville de Genève possède des parkings. Sont-ils utilisés à plein ?
Le taux de vacance de nos parkings est de 33 %, avec un taux encore plus élevé en sous-sol. Durant cette législature, nous aurons supprimé 210 places de parc en surface appartenant à la Ville et placées sous gestion de la Gérance immobilière municipale. Cela, sans prétériter les locataires, puisque qu’ils ont bénéficié de solutions de remplacement à proximité, en sous-sol, aux mêmes conditions.
Un peu plus haut, à Villereuse, la Ville a planté une mini-forêt.
Oui. Là, nous avons justement supprimé une vingtaine de places sur un parking de la ville. Cette micro-forêt est fermée. En effet, l’objectif est de permettre à cet espace végétalisé de se développer fortement. Une soixantaine d’habitants du quartier ont participé à la plantation et s’occupent également de son entretien. Pour libérer cet espace, nous avons proposé aux habitants qui louaient un parking à cet endroit de rejoindre un parking ville de Genève situé non loin, au même prix. Un projet similaire est en cours à la Jonction pour mars prochain. Et une plantation a aussi eu lieu aux Grottes.

Parmi les espaces disponibles pour créer de la verdure, vous évoquiez des places intérieures. Au square Pradier, le projet de piétonnisation est bloqué. Quelle est la politique de la Ville de Genève dans ce domaine ?
Oui, il y a des blocages, et je rêve parfois d’avoir une baguette magique ! Nous avons davantage de marge de manoeuvre sur les parcelles dont la Ville est propriétaire, que l’on nomme l’espace privé. Actuellement, nous travaillons sur une cour intérieure située derrière la rue Jean-Jacquet, aux Pâquis. Elle compte 52 places de parking. Nous avons convoqué les habitants, les associations et nous leur avons dit que nous voulions transformer ce parking en parc pour les 250 habitants de l’ilot. Ils nous ont dit qu’ils étaient d’accord sur le principe, tout en demandant de faire en sorte que cet espace soit fermé pour qu’il ne devienne pas un lieu de deal ou de botellóns [rassemblements, ndlr]. Nous allons donc fermer cette cour. L’accès à la place se fera par deux portes. On y entrera avec un code qui sera changé régulièrement.
“Depuis 2020, nous avons planté plus de 2 500 arbres”
Un des lieux de Genève doté d’une belle rangée de Platanes est la rue Dancet, dans le quartier de Plainpalais. Certains habitants plaisantent en disant que les lieux ressemblent aux Ramblas de Barcelone. Actuellement, c’est un grand parking à ciel ouvert…
Exactement. Ne pourrait-on pas mettre ces places ailleurs ? Actuellement, il y a encore des voitures au pied des arbres, alors qu’on pourrait faire de cette allée centrale un lieu de promenade, de rencontre, avec des terrasses. Ce serait super en été. L’exemple des Ramblas est en effet magnifique. Ce que je peux vous dire, c’est qu’on a lancé à Dancet, comme sur d’autres sites, un projet d’abandon de la taille des platanes.
On laisse désormais pousser les branches supérieures des platanes. Est-ce vraiment une mesure qui a du sens ?
Je me suis posé la même question. Mais oui, bien sûr ! Car, à terme, il s’avère qu’on pourra augmenter la canopée de ces arbres jusqu’à 250 %. Avant de lancer le passage progressif d’un arbre taillé à un arbre qui se développe librement, nous avons dû mener une étude sur les 1 400 spécimens concernés. Seuls 500 sont suffisamment sains pour s’y prêter. Nous avons aussi été limités, dans la petite Rade, par des droits de vue. La conversion se fait par étapes car elle nécessite un travail bien plus conséquent qu’une taille habituelle.
Genève ne possède pas beaucoup d’espaces piétons. Même la Vieille-Ville n’offre pas de vraies rues piétonnes. Pourquoi cette situation ?
Il y a là une série d’intérêts qui s’affrontent. D’abord, une partie des habitants et des commerçants de la Vieille-Ville aimeraient y conserver un accès en voiture, ce qui est négociable, même en cas de création d’une zone piétonne. Autour de la cathédrale, le passage du bus ne fait pas de sens. Cela aussi peut se négocier avec le Canton et les TPG. Cela dit, pour une meilleure efficacité et sur un certain nombre de zones, le Canton devrait donner la responsabilité de l’aménagement aux communes.
“On pourrait faire un lieu de promenade rue Dancet”
Vous avez été président de PRO VELO. Il y a eu plusieurs votations successives à Genève, en ville et dans le canton, sur la création d’axes sécurisés et continus pour les vélos. Mais on a l’impression que ça n’évolue pas énormément…
On a quand même progressé. La part modale du vélo est passée de 4,5 % à environ 9 %. Cela en partie grâce aux “pistes Covid”, tant décriées à droite. Quand j’étais à PRO VELO, nous savions que la première raison conduisant à renoncer au vélo, surtout pour les jeunes femmes avec enfants, c’est la sécurité. C’est pour cela que ces pistes Covid, qui sont plus larges, font hausser la part modale. L’apparition des vélos électriques facilite aussi ce transfert.

Les projets d’extension d’autoroutes ont été refusés par le peuple le 24 novembre. Deux projets autoroutiers sont prévus dans la région : celui de l’élargissement de l’autoroute de contournement et, par ailleurs, l’autoroute Thonon-Machilly suit le même chemin. Ce projet est-il coulé dans le marbre ?
Rien n’est coulé dans le marbre. L’opérateur privé a reçu les autorisations. La Ville ne peut pas s’opposer aux adjudications, mais d’autres oui. Cette autoroute est une aberration. On parle d’améliorer les liaisons routières entre les villes pour fluidifier le trafic. Mais les voitures ne font pas que de passer d’un point A à un point B : elles sortent et entrent dans les villes, avec les conséquences qu’on connaît.
Vous vous occupez de la Gérance immobilière municipale (GIM), qui loue plus 5 000 logements. On n’en entend plus tellement parler ces temps, alors que c’est un sujet souvent explosif à Genève. Quid des longues listes d’attente ?
La Ville de Genève a modifié le règlement de la GIM et j’ai participé à ces travaux à l’époque en tant que membre de l’ASLOCA [l’association de défense des locataires, ndlr] et élu municipal. Depuis 2020, les locataires, et les seniors en particulier, sont mieux protégés. La GIM avait aussi la réputation d’avoir une attitude un peu sèche. Or, les questions qui portent sur le logement sont extrêmement délicates et souvent source d’angoisse. Je suis sensible à la façon dont on s’adresse aux gens et je fais passer ce message.
Article tiré
du N°
8
