Entretien
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Virginie Duby-Muller

Députée française

© Éric Roset

“L’autoroute du Chablais répond à un besoin”

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Députée française investie sur les questions frontalières, Virginie Duby-Muller (Les Républicains) défend la prime de vie chère instaurée pour les fonctionnaires habitant dans le Genevois français et s’inquiète de la pénurie de main-d’oeuvre dans le domaine de la santé. Elle soutient le projet d’autoroute du Chablais, tout comme les projets de tramways et de trains.

Vous êtes députée française d’une circonscription frontalière. Le dialogue avec les autorités genevoises est-il satisfaisant ?

Ce dialogue est régulier dans des instances de coopération transfrontalière comme le Comité régional franco-genevois, le Conseil du Léman ou encore le Groupement local de coopération transfrontalière. Il y a ces espaces de dialogue, mais ce n’est pas toujours simple parce que chacun constate toujours qu’il existe un déséquilibre entre la région genevoise et la Haute- Savoie. Nous avons ici beaucoup construit de logements et nous avons des problèmes de recrutement liés au coût de la vie. Bien sûr, c’est une chance pour la Haute-Savoie d’avoir Genève à proximité, mais c’est aussi une source de difficultés. La vie est difficile pour celles et ceux qui sont payés en euros.

“Nous avons obtenu de l’État une prime de vie chère de 840 euros”

Vous avez proposé une prime de vie chère. À qui serait-elle destinée et qui la prendra en charge ?

Cette prime de vie chère, nous l’avons enfin obtenue en septembre 2023. Le ministre de la Fonction publique, Stanislas Guerini, l’a annoncée. C’est une demande portée depuis des années par les syndicats et des élus, dont moi-même. Elle existe déjà en Ile-de-France. L’idée est d’offrir une prime pour les fonctionnaires de toutes les fonctions publiques : la fonction publique d’État, la fonction territoriale [des collectivités locales, NDLR] et la fonction publique hospitalière. Prime qui leur permettra de disposer de 3 % de leurs revenus en plus. Soit 840 euros brut de moyenne annuelle. C’est un gain notable.

Quel territoire est concerné ?

Lorsque Stanislas Guerini a fait cette annonce, il a sorti une carte avec une soixantaine de communes du pays de Gex et de la Haute-Savoie. J’avoue avoir été surprise. Mon idée, c’est que l’ensemble de la Haute-Savoie soit couvert. Pour des raisons juridiques, le gouvernement a choisi des communes qui sont considérées en zone tendue au titre de la politique du logement. Cette carte a donc fait des déçus. On l’a retravaillée avec lui. À compter du 1er décembre 2023, 133 communes sont désormais éligibles, toujours sur les deux départements de l’Ain et de la Haute-Savoie. Mais nous considérons qu’il existe toujours des trous dans la raquette.

Il faut dire que cette prime ne concerne pas les salariés du secteur privé…

Non. Nous n’avons pas la main sur le privé. Nous, élus, ne pouvons pas demander aux chefs d’entreprises d’augmenter les salaires de leurs employés. Je sais que globalement en Haute-Savoie, ils les rémunèrent mieux pour les fidéliser. Cette prime de vie chère est donc importante, car elle permet d’obtenir cette reconnaissance nationale en Haute-Savoie et dans le pays de Gex, nous nous trouvons dans un secteur où le coût de la vie est plus élevé qu’ailleurs. Ce n’est pas une vue de l’esprit. Il faut aussi d’autres leviers pour aider nos fonctionnaires, notamment du logement, et ce problème touche aussi des salariés du privé.

Que proposez-vous pour le logement ?

Le gouvernement va proposer un grand texte de loi sur le logement. Par exemple, il n’est pas possible actuellement de lier un contrat de bail à un contrat de travail. Quand une infirmière vient s’installer dans la région, elle peut trouver un logement social. Si, demain, elle décide de travailler aux HUG [Hôpitaux universitaires de Genève, NDLR], elle pourra le conserver, même avec un surloyer à payer.

Votre idée, c’est qu’elle libère le logement social ?

Exactement. L’idée est de lier le contrat de travail et le contrat de bail. Je vais déposer un amendement en ce sens. Un député de Paris, David Amiel, a été mandaté sur la question du logement des fonctionnaires en Ile-de-France. Il propose de réserver une part des logements sociaux aux fonctionnaires. Avec d’autres parlementaires, nous souhaitons que les zones frontalières soient aussi concernées par ce dispositif.

Il y a le sujet du désert médical et du nouvel Institut de formation de soins infirmiers (IFSI) qui est construit à Ambilly. En quoi cet établissement permettra-t-il de conserver sur place le personnel soignant et éviter qu’il aille travailler en Suisse ?

Ces difficultés de ressources humaines dans la santé et le médico-social, c’est vraiment dramatique. Je suis particulièrement inquiète. À l’échelle de la Haute-Savoie, il y a plus de 700 lits fermés dans les Ehpad [établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, NDLR], faute de personnel. Je vous cite l’exemple de celui de Saint-Julien-en-Genevois. Je me suis battue avec Christian Monteil [ex-président du Département de Haute-Savoie, NDLR] pour obtenir la reconstruction d’un établissement neuf. Or, on a aujourd’hui un étage entier fermé faute de personnel ! Nous avons la chance de disposer d’équipements quasiment neufs, comme le centre hospitalier Alpes Léman à Contamine-sur-Arve ou le centre hospitalier Annecy Genevois. Mais ces structures manquent de ressources humaines ! Idem dans le domaine de la psychiatrie ou le secteur du handicap, où ce sont des associations qui portent les structures d’accueil. La reconstruction de l’IFSI va permettre de disposer de davantage de personnels formés dans le domaine de la santé en montant à 400 élèves au total (aides-soignants et infirmiers, formation continue…). L’objectif est de garder le supplément en France.

“Le Léman Express est le début d’une colonne vertébrale qu’il faut continuer d’étendre, notamment dans l’Ain.” Virginie Duby-Muller. Image : SNCF

Comment y parvenir ?

Il pourrait y avoir un décret, pris par l’agence régionale de santé. Elle imposerait au personnel hospitalier formé en France de devoir garantir cinq ou dix ans d’exercice en France. C’est une piste. Je pense aussi qu’il faut continuer une discussion avec Genève pour générer un cofinancement de ces formations en France.

Le Léman Express (LEX) a constitué un grand changement. Il est plein, au-delà de ses capacités. Quelles évolutions futures imaginez-vous, sachant qu’il y a des voies uniques côté France, vétustes, et que la Suisse investit beaucoup dans le ferroviaire ?

Déjà, il faut redire : le Léman Express est une réussite. Le trafic atteint 80 000 passagers par jour et a permis de diminuer les embouteillages. C’est le début d’une colonne vertébrale qu’il faut continuer d’étendre avec des projets notamment dans l’Ain. Il y a aussi des lignes vieillissantes qu’il faudrait moderniser au pied du Jura et du Salève [la ligne TER qui relie Saint-Julien à Annemasse, NDLR]. Il existe des projets de modernisation de la ligne de la vallée de l’Arve en vertu d’un engagement financier qui a été décidé entre l’État, la Région et le Département. Cela, à hauteur de 100 millions d’euros. Il existe aussi en parallèle une réflexion du Département pour sécuriser les passages à niveau, comme cela avait déjà été engagé, même si ce n’est pas notre compétence.

“C’est une chance mais aussi une source de difficultés”

Vous avez grandi dans la vallée de l’Arve. Comment le Léman Express est-il en train de modifier la région ?

J’observe que les gens sont favorables à ce moyen de transport. Des amis à moi ont même déménagé pour se rapprocher d’une des gares du LEX. Ils ont gagné en qualité de vie. Désormais, se pose notamment la question des vélos et des trottinettes embarqués. Il n’y a plus assez de place pour cette mobilité mixte.

Le Valais a voté un crédit d’étude pour la ligne du Tonkin. Est-ce que la France va faire de même ?

C’est une bonne question. Il faut une mobilisation entre l’État, la Région et le Département. Je salue l’effort financier fait par le Valais et leur volonté politique. L’idée étant à terme d’avoir une voie ferroviaire qui fasse le tour du lac Léman. Cela a du sens. Il faut aussi mettre du fret sur cette ligne du Tonkin.

À une plus petite échelle, Annemasse prolonge son tram 17 et cela va de pair avec une piétonnisation du centre. Qu’en pensez-vous ?

C’est un choix politique de la ville d’Annemasse que je n’ai pas à commenter. J’ai des échos négatifs des commerçants et de la population liés à la simultanéité des travaux en cours. Ce peut être un mal pour un bien. Je me souviens que le chantier pour le tram de Gaillard n’a pas été sans difficulté pour les commerçants malgré les aides. Aujourd’hui, c’est une réussite, car le tram 17 est emprunté jusqu’au parc. En plus, il y a eu une végétalisation des voies.

Le Chablais : “Il est important d’avoir une autoroute pour des déplacements liés au travail et au tourisme dans ce secteur.” Virginie Duby-Muller. Image : Jean-Michel Etchemaïté

Le projet de prolongation du tram 15 vers Saint- Julien subit plusieurs recours côté Suisse. De quel levier d’action disposez-vous ?

Nous n’avons pas de possibilité d’action. La justice suisse est indépendante. Il nous faut donc attendre la décision du Tribunal administratif fédéral de Berne. Les travaux ont continué côté français. Le Conseil d’État genevois soutient ce projet qui contribuera à réduire le trafic automobile.

“Des discussions ont lieu avec Pierre Maudet pour financer des parkings relais”

Quels sont dans la région les projets nécessaires en matière de mobilité ?

Il faut continuer d’avancer sur les parkings relais (P+R). Et leurs tarifs doivent être harmonisés, car certains sont payants et d’autres non, ce qui provoque des pratiques de contournement. Certains P+R saturés, par exemple autour du centre hospitalier Alpes Léman (à Contamine-sur-Arve), génèrent du stationnement anarchique. Pourquoi ne pas construire des ouvrages en silo ? On voit que quand ces espaces existent, les gens y laissent leur voiture. Il y a des discussions entre Pierre Maudet (Conseiller d’État en charge des mobilités) et le Département de la Haute-Savoie pour financer de nouveaux parkings relais. L’ATMB [Autoroutes et Tunnel du Mont-Blanc, NDLR] a aussi des projets.

Certains experts questionnent l’efficacité des P+R, comparativement au poids politique que le sujet prend dans le débat public. Ils évoquent l’importance de l’accès aux gares par de la mobilité douce…

Au niveau du Département de la Haute-Savoie, un gros travail est mis en oeuvre sur les voies vertes et les aménagements cyclables en site propre. Il y a déjà des axes structurants : la Léman-Mont- Blanc, l’ATMB... Le tour du lac d’Annecy a été bouclé. Nous continuons de travailler avec les communes pour financer les pistes cyclables, jusqu’à 80 %. On voit qu’avec l’arrivée des vélos électriques, les usages changent si les itinéraires sont sécurisés. Même a minima par un marquage au sol.

Que pensez-vous du projet autoroutier du Chablais, décrié notamment par la Ville de Genève. Sera-t-il utile au territoire ?

J’ai toujours soutenu le désenclavement du Chablais, qui s’est fait par petits bouts, avec notamment le contournement de Thonon puis les 2x2 voies réalisées au niveau du carrefour des Chasseurs jusqu’à Machilly. Il manquait 16 kilomètres entre cette localité et Thonon.

Construire une autoroute à côté du Léman Express, est-ce logique ?

Le Léman Express, c’est très utile. Mais il est important d’avoir une autoroute pour des déplacements liés au travail et au tourisme, car il y a des embouteillages dans ce secteur. C’est un ouvrage qui correspond à une attente très forte de la population locale, car les villages souffrent du trafic automobile qui cherche à échapper à la route départementale. Au Département, nous avions provisionné 100 millions d’euros pour ce projet, mais l’État a confié cette opération à l’opérateur privé Eiffage qui la financerait intégralement. Ce qui est bien pour nos finances. Sur le fond, je ne crois pas tellement au principe d’appel d’air généré par une autoroute. Elle répond à un besoin de la population et des acteurs économiques. Par ailleurs, je vois que les usages de la population en matière de mobilité changent quand les infrastructures sont adaptées. Il y a un réflexe pour le covoiturage qui s’installe.

Vous avez jugé que le projet d’un vélodrome à la Roche-sur-Foron – l’Arena –, porté par le président du Département de la Haute-Savoie, était mégalomaniaque. Vous n’avez pas hésité à vous opposer frontalement à lui. Le projet est désormais abandonné. Que s’est-il passé ?

Il faut savoir s’affirmer. Ce projet d’un vélodrome nous a été présenté par Martial Saddier, le président du Département, en vue des prochains Championnats du monde de cyclisme. Nous avons découvert d’un coup que la tenue d’épreuves sur piste nécessitait un vélodrome. Mais quel est le modèle économique d’un tel équipement, dont un exemple existe à Genève par ailleurs ? Il n’y a eu aucune concertation. Comme le président a vu que son idée ne prenait pas, il est revenu avec l’idée d’une salle multisports. Mais la question des coûts n’est pas expliquée. Or la note pourrait atteindre 150 millions. Au final, ce sont les élus de la Roche-sur- Foron qui ont dit non à ce projet, contre l’avis du maire. Il y a là un problème de méthode. Elle a été verticale, alors que la population a besoin d’être associée aux grands projets.

“Il faudra à terme une voie ferroviaire qui fait le tour du Léman”

Le territoire frontalier compte plusieurs projets de centres commerciaux dont un à Neydens, dans des lieux mal connectés aux transports publics ou au train. Qu’en pensez-vous ?

Depuis le Covid-19, notamment, on s’aperçoit que les centres commerciaux ne fonctionnent plus de la même façon. De ce fait, des projets sont revus à la baisse et on revient à des tailles plus “humaines”. C’est le cas pour le projet prévu sur le site de l’ancien Macumba, à Saint-Julien-en- Genevois, qui est redimensionné. D’ailleurs, ce secteur est aujourd’hui sous-équipé puisque les habitants vont faire leurs courses à Annemasse ou Annecy. Et oui, il faut favoriser des emplacements dans des pôles connectés.

Avez-vous pratiqué la Voie verte d’agglomération ?

Oui, bien sûr. Je l’ai faite à vélo et aussi en courant. Elle est ultra fréquentée.

La France voisine investit-elle dans ce type d’infrastructure ?

Dans les budgets, cette volonté politique d’aller dans cette direction est actée. Il y a un véritable engouement pour le vélo et les vélos à assistance électrique amplifient encore ce mouvement. Si on offre aux gens des parcours sécurisés et accueillants, ils les utilisent. Il y a un calcul qui est fait de leur part, qui associe des gains en termes de coût et de temps. C’est la même chose quand on offre des voies prioritaires au covoiturage.

Article tiré

du N°

6

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Virginie Duby-Muller

Virginie Duby-Muller, 44 ans, est députée Les Républicains. Elle est aussi conseillère départementale de la Haute-Savoie. À Genève, cette native de la vallée de l’Arve est connue pour être une députée active sur les questions qui touchent au Grand Genève. Elle en connaît les structures et les codes. C’est une enfant du pays. Elle vit à Collonges-sous-Salève.