Architecture

Un immeuble autour d’une cage d’escalier

Un immeuble autour d’une cage d’escalier
© Yves André

Études

Publicité

Sur l’avenue de Champel, un projet récent de logements pour étudiants pourrait être la clé de voûte qui complète l’identité urbaine de cet axe reconfiguré par la gare du Léman Express. L’immeuble donne une place stratégique aux communs.

La résidence étudiante conçue par l’atelier Bonnet, sur une parcelle triangulaire jusqu’alors considérée comme inconstructible, donne le nouveau ton au quartier de Champel. Elle matérialise son intégration dans l’hypercentre genevois, à laquelle l’ouverture de cet arrêt du Léman Express a largement contribué. Le Léman Express est ainsi le facteur souterrain d’une transformation dont la résidence étudiante serait l’un des éléments visibles. Livré en 2023 pour un coût de 14,5 millions de francs, le bâtiment en question a été implanté sur un délaissé urbain situé à proximité des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), sur une propriété de l’État de Genève qui l’a cédé à la Fondation universitaire pour le logement des étudiants (FULE). Ce projet s’inscrit dans une stratégie globale visant à augmenter l’attractivité des infrastructures destinées aux étudiants. Le niveau de vie offert par la résidence rompt avec l’idée que l’on se fait de l’austérité d’une vie étudiante confinée dans un studio étroit et isolé. Les appartements de quatre étudiants – trois unités pour chacun des huit paliers résidentiels – s’organisent autour de grandes pièces à vivre, dont certaines s’ouvrent sur le boulevard, vers le Jura, et d’autres sur le jardin, vers le Salève. Les architectes ont conçu ces unités de vie communes dans l’optique d’offrir une flexibilité dans le temps et de les transformer un jour en logements familiaux. Cela explique peut-être aussi l’abondance d’espace et leur caractère fondamentalement domestique. La résidence possède la générosité des bâtiments qui vont chercher la rue plutôt que d’être en retrait ou détachés de celle-ci afin de préserver l’intimité des habitants. Les espaces communs du coworking étudiant, comme le lieu de vie du rezde- chaussée, sont ouverts sur l’avenue de Champel, à la manière d’un café. Les séjours ont également été situés dans les angles du bâtiment, ce qui renforce l’impression d’un lieu vivant qui projette sa vitalité et son bien-être sur l’avenue.

De la place pour les vélos

Pourtant, l’élément le plus surprenant de cet immeuble, sa marque de fabrique, reste invisible aux yeux des passants. Il s’agit de la cage d’escalier, qui fait face au paysage lointain par de larges ouvertures. Cet escalier, habillé de céramique bleue, dispose à chaque étage d’espaces pour ranger les vélos. Les paliers sont desservis par un ascenseur assez profond pour accueillir plusieurs personnes et deux bicyclettes à la fois. Cette disposition inhabituelle normalise un comportement maintes fois observé dans les résidences étudiantes : emmener son vélo sur le palier pour éviter qu’il ne soit volé. Outre ce fétichisme cycliste, le fait que les vélos soient situés à chaque étage confère une forte incitation à utiliser ce mode de transport très prisé des étudiants. De plus, cette disposition permet de ne pas encombrer le rez-de-chaussée. La surface au sol est ainsi libérée pour une utilisation plus conviviale, avec des espaces de coworking situés aux deux premiers niveaux, une annexe très prisée de la bibliothèque universitaire du centre médical universitaire voisin. Il n’y a plus besoin de parking souterrain, ni pour les étudiants, ni pour les familles, dans un avenir plus ou moins proche qui sera inévitablement sans voiture.

Livrée en 2023 par une fondation, cette résidence rompt avec l'idée d'austérité du logement estudiantin. Images : Yves André

Clin d’oeil au XXe siècle

Cette cage d’escalier revêtue de faïence bleue, résistante au passage des vélos, est traitée comme un espace unitaire, servant aussi de terrasse conviviale, avec des bancs, ainsi qu’un beau gardecorps doré qui court du neuvième étage au rez-de-chaussée. L’immeuble rompt avec une mentalité qui a longtemps considéré cet élément intérieur comme n’ayant d’autre but que de suppléer à un ascenseur en panne. Elle s’adresse à une génération qui privilégie l’utilisation des escaliers aussi pour des raisons environnementales. La cage en question renvoie surtout à une époque où celle-ci constituait une composante essentielle des bâtiments d’habitation. C’est là que venait s’inscrire l’identité collective d’un immeuble. L’avenue de Champel compte plusieurs immeubles du début du XXe siècle avec des cages d’escalier généreuses conçues dans cet esprit. La résidence réactive cet usage qui consiste à percevoir l’escalier comme un lieu de vie et de transit, entre l’intérieur domestique et la rue. Il porte ainsi la double identité du dedans et du dehors. À sa manière, la résidence d’étudiants de l’avenue Champel poursuit la recherche chère à l’atelier Bonnet pour sortir l’architecture de ses réflexes normatifs, tout en faisant preuve d’une certaine sobriété. L’expérimentation est moins formelle et plus structurelle. Le bâtiment est une configuration sociologique capable d’évoluer dans le temps. Il est surtout capable de puiser son intelligence dans les contraintes topologiques du site. Ici, le terrain inadéquat devient le ressort d’une organisation typologique innovante et finalement très appropriée, au point d’être celle qui donne à l’avenue son nouveau visage.

Article tiré

du N°

7

Lire le magazine

(Re)découvrez tous les numéros de Nouveau Genève.