Ferney-Voltaire
La commune française est en passe de concrétiser l’opération Ferney-Genève Innovation, pensée depuis une dizaine d’années. Le projet, qui comprend 2 500 logements, de l’activité économique et un centre commercial, reste toutefois critiqué et soumis à des aléas judiciaires. Plus tangible : l’arrivée du bus à haut niveau de service et du tramway 15 depuis Genève.
“La plus genevoise des communes françaises.” Ainsi le maire Daniel Raphoz (centre droit) présente-til Ferney-Voltaire, quasi-enclave tricolore en territoire helvétique, entre Meyrin, Le Grand-Saconnex et Collex-Bossy, à quelques centaines de mètres des pistes de l’aéroport de Cointrin. Séparée de seulement cinq kilomètres du palais des Nations, la ville attire nombre d’expatriés, réputée accueillir plus de 120 nationalités différentes. Cet attrait se lit dans la dynamique démographique avec plus de 2 000 habitants supplémentaires en quinze ans. Les opposants politiques ne manquent pas de le rappeler, accusant le maire de “bétonner” Ferney. Parmi les projets à venir, celui du bailleur social Dynacité, en passe d’achever une opération au long cours : le Levant. Ses 162 logements sont attendus d’ici 2026, dont 40 appartements à la vente, cédés au promoteur Priams. “La ville est surdimensionnée, surdensifiée, en manque d’équipements publics”, affirme Jean- Loup Kastler, conseiller municipal d’opposition (divers gauche écologiste). “Le maire n’a rien fait si ce n’est signer des permis de construire. Il a défiguré la commune”, abonde Christian Landreau (divers centre). L’élu s’attend à ce que celle-ci, à l’issue de l’opération Ferney-Genève Innovation [lire page 56], atteigne les 20 000 habitants. L’édile Daniel Raphoz reconnaît que la ville est “probablement la deuxième plus dense de l’Ain”, héritage de l’histoire. Comme d’autres maires du secteur, il reproche à la Suisse de faire “beaucoup d’économies et trop peu de logements”.
Une ZAC portée par l’Agglomération
C’est dans un souci de rééquilibrage qu’a été lancée en 2012 la zone d’aménagement concerté (ZAC) Ferney-Genève Innovation, sous supervision publique. Située à proximité de la frontière, elle vise tout à la fois à attirer des entreprises et loger des habitants. Il est à noter que ce continuum urbain va permettre d’obtenir des financements de la Confédération pour le prolongement du tramway 15. “Nous avons la volonté d’organiser le territoire pour ne pas nous laisser déborder par un développement porté par les seuls promoteurs”, décrypte Patrice Dunand (divers droite), président de Pays de Gex agglo, communauté d’agglomération regroupant vingtsept communes. À la genèse, il y a une dizaine d’années, le Canton était associé à la ZAC avant de se retirer pour se consacrer à ses projets. Avec ses 2 500 logements, ses 200 000 m2 d’activités, un centre commercial en lisière de Genève et un tramway, le programme de cette ZAC paraissait répondre à une certaine logique de développement. Les soixante-cinq hectares avaient été acquis patiemment par la société publique locale (SPL) Terrinnov, aménageur, dont 60 % du capital est détenu par Pays de Gex agglo. Le site est à présent libéré. Mais des différends s’expriment. Daniel Raphoz, élu en 2014, assume un peu moins que son prédécesseur le projet. Il se plaint d’être peu entendu, la commune ne représentant que 5 % du capital de la SPL et une voix sur dix-huit au sein du conseil d’administration. Un manque de soutien qui leste sans doute cette opération, par ailleurs contestée par la population.

2 500 logements prévus
Volet le moins polémique : la partie résidentielle, située au sud-ouest de la commune. Sont prévues 850 habitations à Paimboeuf, 1 700 à Très-la-Grange. Parmi ces logements, on trouve 25 % de locatif social et 20 % d’accession abordable à la propriété (1). Tous ces appartements seront élevés à quelques centaines de mètres seulement des pistes de l’aéroport de Cointrin, mais au-delà de la ligne de bruit. Entre trente et quarante lots de construction seront désignés, via des consultations. Chaque promoteur candidat doit proposer trois dossiers émanant d’architectes différents. Les opérateurs Pichet, Ogic, Sogeprom, Bati-Lyon et Lamotte ont déjà été retenus. Le prix de vente des appartements devrait s’établir à 6 ou 7 000 euros le mètre carré pour l’accession libre, et 4 100 euros TTC pour l’accession abordable. L’architecte en chef, Marc Bigarnet (du cabinet Obras), vante un “parc habité”, avec une forte proportion d’arbres – certains sujets existants dateraient de l’époque de Voltaire. La SPL veut favoriser l’usage de biomatériaux, comme le bois, la pierre voire le chanvre et la terre crue. “Il s’agit de limiter la part de béton”, selon Marc Bigarnet. Les gabarits vont varier de R+4 à R+10. Si la hauteur ne fait pas trop débat, la mairie trouve la distance entre certains bâtiments trop faible. Le site étant desservi par le tramway, une norme d’un stationnement par logement a été fixée, dont une partie dans un parking collectif [lire ci-dessous]. Les voiries sont peu nombreuses, et visent surtout l’accès aux habitations, tandis que des itinéraires cyclables et piétons sont prévus.
Quid des équipements publics ?
Si les premiers permis de construire ont été accordés il y a cinq ans, aucun chantier de cette ZAC n’a encore été lancé. En cause, des recours qui ont plu. Les premiers travaux devraient cependant démarrer en fin d’année avec les promoteurs Linkcity et Bouygues. Les autres suivront, s’échelonnant sur une quinzaine d’années. Le maire fait état de sa préoccupation de voir tarder les équipements publics afin d’accueillir les nouvelles populations. Sont notamment prévus une école, une crèche et un gymnase. “Rien ne sera signé tant qu’il n’y aura pas de garantie de ce côté”, prévient l’édile, qui menace de ne pas parapher les permis de construire. Sur ce point, la SPL se veut rassurante, s’engageant à payer 80 % du gymnase et 90 % de l’école et de la crèche. Les consultations n’ont cependant pas encore été lancées… Un projet tangible ? Hotspot, un parking en étage de quatre niveaux, avec 430 stationnements automobiles. Dont le chantier va démarrer en août. Cet équipement vise à mutualiser les besoins avec des places plutôt occupées par les salariés en journée et les résidents en soirée, couvrant ainsi 30 % des besoins des 2 500 logements. En rez-de-chaussée, on trouvera aussi un fab living lab, soit un laboratoire de fabrication, dont des surfaces occupées par Pangloss et la centrale de chaleur [lire ci-contre].
Une chaire internationale
Aux côtés de Hotspot, les 200 000 m2 d’activités économiques, situées au coeur de la ZAC, manquent de concrétisations. Est notamment envisagée une cité internationale des savoirs sur dix hectares, financée par Pays de Gex agglo. Il est question d’un centre de conférence, de location de salles, de formations, d’une chaire internationale occupée par l’université Savoie Mont Blanc, l’université de Genève et la Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève. Voilà qui reste à être précisé. “C’est rien, du pipeau”, persifle Christian Landreau, élu d’opposition. La quinzaine d’autres bâtiments d’activité devra trouver des investisseurs.
Le centre commercial menacé
Reste le projet le plus controversé : celui d’un centre commercial sur le quartier de la Poterie, au sud-est de la commune. Dessiné par Jean-Michel Wilmotte, le complexe comprend la bagatelle de 28 000 m2 de surfaces de vente, quelque 115 boutiques et un parking de 1 600 places, visant évidemment le chaland suisse. Aucune grande surface alimentaire n’était cependant envisagée, la commune étant déjà bien pourvue. Un compromis de vente a été signé en 2017 avec le promoteur Altarea Cogedim, retenu à l’issue d’un concours. Sa force : inclure une forte dimension culturelle avec la relocalisation du cinéma Voltaire qui passerait à huit salles, une antenne du Centre Pompidou dédiée à l’art contemporain et une annexe de la Cité des sciences – deux institutions parisiennes. Les uns et les autres s’étaient donné jusqu’au 30 juin 2022 pour aboutir. Sauf que le permis de construire n’est pas purgé de recours et que le réseau chaleur prévu pour alimenter ce centre a pris du retard. De ce fait, le promoteur estime la promesse de vente caduque et demande le remboursement de son avance financière réglée en 2017. Veut-il abandonner le projet, le redimensionner à la suite du Covid ou vise-t-il des clauses financières plus favorables ? Contacté par nos soins, il assure attendre la fin de la saga judiciaire. Sans attendre, la SPL a engagé une poursuite contre lui au tribunal de commerce pour bloquer cette restitution. “Quand on leur demande si le projet est arrêté, ils ne le disent pas clairement”, confie Vincent Scattolin, président de la SPL et maire de Divonne. L’élu, sans doute tenu par un devoir de confidentialité, assure vouloir rétablir le contact d’ici cet été.
Un projet alternatif
“Il n’y a aucune communication officielle, on ne sait rien”, maugrée, dépitée, Anne Durand, présidente du collectif Poterie Riposte, opposée au projet. L’association a perdu deux fois en justice mais elle a porté l’affaire devant le Conseil d’État. “Le Pays de Gex est l’un des endroits de France où il y a la plus forte densité de centres commerciaux”, souligne-t-elle. Deux programmes sont actuellement développés : Open à Saint-Genis-Pouilly, tout aussi contesté, et le village de marques, Alpes the style outlets, en cours de construction à Bellegarde. Jean-Loup Kastler fait valoir que sur la commune de Ferney, l’espace Candide, petite galerie marchande, peine à fonctionner, et que le centre d’Aumard est déjà à moitié vide et peu sûr. Même si le futur complexe ferneysien serait bâti sur un site urbanisé, Poterie Riposte dénonce un programme “écocide”, générant du trafic routier et “une surenchère de consommation”. Le collectif porte une autre ambition, développée avec l’architecte genevois Marcellin Barthassat, avec moitié moins de surface bâtie. Il serait question d’artisans et de commerçants répondant à des besoins locaux, d’ateliers de recyclage, de services publics et peut-être d’une ferme urbaine. Cependant le modèle économique n’est pas précisé.
La SPL endettée
Les incertitudes liées à l’aboutissement du centre commercial rejaillissent sur l’ensemble de la ZAC. Car la SPL, qui a acquis les terrains, est endettée à hauteur de 90 millions d’euros, un montant qui devait diminuer à mesure que des fonciers étaient cédés à des promoteurs. Parmi eux, Altarea Cogedim pour le centre commercial. “La concrétisation de cette promesse de vente est essentielle pour les équilibres financiers futurs de la ZAC et de la société”, souligne la chambre régionale des comptes. Son rapport de 2022 pointait pour la SPL “une situation financière tendue (…) un niveau d’endettement excessif même si des actifs fonciers sont aisément valorisables”. Le document fait état de quelque quatre-vingt-dix contentieux juridiques subis par SPL, générant frais et retards. À la lecture du dossier, le conseiller municipal Jean-Loup Kastler voit les équipements publics de la ZAC capoter. La SPL balaie cette perspective et ne songe pas encore à relancer le concours du centre commercial, sans doute inquiète de l’allongement des délais qui serait induit. Si pareil scénario devait survenir, il y a toutefois fort à parier que le site trouverait preneur, à quelques pas de la douane. “On est sur une mine d’or, tout le monde se battait pour acheter ce terrain”, assure David Marguin, directeur du cinéma de Ferney.

(1) Autrement désigné bail réel solidaire. Le foncier reste détenu par la collectivité, aussi les propriétaires versent-ils un loyer correspondant.
Bus et tram en vue
“La commune la mieux desservie du pays de Gex.” Ainsi le maire de Fernay-Voltaire se gargarise-t-il de voir arriver, à brève échéance, un bus à haut niveau de service – le BHNS Genève- Gex – et le tramway 15 en provenance du Grand-Saconnex. L’inauguration du BHNS est prévue pour début 2024, le long de la RD1005 (avenue du Jura), principalement sous la maîtrise d’ouvrage du Département de l’Ain. Voilà qui réduira le temps de trajet entre Gex et Genève de trente minutes en heures de pointe, par rapport à l’actuelle ligne F. Pour Ferney-Voltaire, l’intérêt est moins évident, la commune perdant deux arrêts. “Le nouveau bus n’ira plus ni à la mairie ni à la gare”, résume Jean- Loup Kastler. Un service dédié est toutefois prévu, spécifique, entre Genève et le centreville de Ferney. Dans tous les cas, le terminus suisse ne sera plus Cornavin mais Sécheron, où une correspondance avec le Léman Express sera possible. Le sujet est d’importance quand on sait que le pays de Gex n’est pas desservi par le train. La connexion entre Ferney et Cornavin sera toutefois assurée à l’avenir par le tramway 15. Une arrivée espérée pour fin 2026. Trois stations desserviront la commune française, dont l’une à quelques centaines de mètres de la mairie. Au terminus, un parking relais de 600 à 800 places est envisagé à plus lointaine échéance. Quelques obstacles restent néanmoins à surmonter. Côté Suisse, le projet est soumis à enquête publique et le Canton espère obtenir les autorisations début 2024. Le tracé passe par la route de Ferney et la place de Carantec, au Grand-Saconnex, où de nouveaux logements sont attendus. Un pont doit être réalisé pour que le tram franchisse l’autoroute A1, soit un coût total de 190 millions de francs pris en charge à 34 % par la Confédération, le reste l’étant par le Canton. Si la partie française est bien moins onéreuse (40 millions d’euros), le tour de table financier n’est pas bouclé. Parmi les engagements fermes, la Confédération prendra en charge 38 % des coûts, l’État français 10 %, la SPL ou Pays de Gex agglo 20 %. Le passage du tram nécessitera la restructuration de la douane, ce qui impliquera des autorisations nationales.


Article tiré
du N°
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