Le Bâtisseur

La tour Pictet, c’est elle !

La tour Pictet, c’est elle !
© Éric Roset

Inès Lamunière

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Fille de l’architecte Jean-Marc Lamunière, la Genevoise Inès Lamunière est engagée dans deux projets de taille : l’édification du Campus Pictet de Rochemont et les aménagements autour des deux futures voies souterraines de la gare Cornavin. Rencontre.

Inès Lamunière est affable, mais on sent poindre derrière son regard gris et vert une force qui peut s’imposer. “Avec elle, nous marchons droit”, sourit un ingénieur rencontré sur le chantier du Campus Pictet de Rochemont, un ensemble dessiné par le bureau de l’intéressée : dl-a, designlab-architecture. Le projet en question et sa tour de 91 mètres de haut se déroule pour ainsi dire à l’ombre d’un autre ensemble que sont les deux tours de Lancy, réalisées dans les années 1960 par le père d’Inès, l’architecte Jean-Marc Lamunière. Sa fille ne cache pas son admiration pour cette oeuvre moderne, avec ses balcons et baies vitrées rectangulaires qui s’ouvrent sur le paysage. La modernité ? Inès Lamunière a grandi dans une famille de cinq enfants, où l’ouverture au monde a fait partie intégrante de leur éducation. “Nous n’étions pas une famille bourgeoise classique”, confie-t-elle. Cette curiosité s’est notamment matérialisée dans le choix d’une école où les cours sont donnés en anglais. À quoi rêve alors la jeune femme ? “Je cherchais un métier où je pourrais m’engager envers la société”, raconte la Genevoise, qui a passé son enfance dans une maison moderne à Genthod. Ce sera l’architecture, activité qui s’est muée en passion.

“Je parle avec des ingénieurs, c’est du lourd”

“En Suisse, les architectes touchent à tout”

À Genève, l’intervention la plus connue d’Inès Lamunière est celle de la rénovation, dans les années 2000, de la tour de la RTS. Cet édifice, complètement revisité, sera doté d’un encorbellement posé au-dessus du vide, face au paysage lacustre. L’architecte décrit le bâtiment comme étant alors une sorte de forteresse. Elle en fera un périscope, installant des atriums dans les étages de cette tour symbole de la télévision publique romande. Inès Lamunière a beaucoup oeuvré dans la rénovation et la relecture de bâtiments anciens, avouant un intérêt marqué pour les détails et les archives, ces documents qui permettent aux architectes de comprendre les intentions de leurs prédécesseurs. Elle a notamment étudié en profondeur – et habité – un immeuble célèbre : la maison La Clarté, de Le Corbusier. “En Suisse, on touche à tout”, se réjouit la Genevoise, de retour d’une pause cigarette devant les bureaux de dl-a, designlab-architecture, situés non loin de la gare. Sa carrière en est la preuve, qui lui a offert la possibilité de travailler sur une palette très large de bâtiments : écoles, opéra, clinique psychiatrique, bains, grands bâtiments tertiaires, comme ceux de Philip Morris à Lausanne ou du BIT, on encore le Centre oecuménique des Églises, dont la rénovation est en cours, sans oublier de petits gabarits, ainsi cette maison réalisée en 2024 à Brooklyn.

La tour Pictet comprendra 23 .tages et culminera . 91 m.tres. Le dessin de ses trames donnera l'illusion qu'elle s'affine en hauteur. Image : dl-a.

Le défi de la densification

Genève est-elle une ville d’architecture ? Inès Lamunière cite la richesse des constructions néo-classiques, comme le Palais Eynard ou le Musée Rath. Elle loue aussi les prouesses modernes, comme le Palais des Nations ou la gare Cornavin. Quid des projets récents ou en cours, par exemple aux Vernets ou dans la partie commerciale de Pont-Rouge ? L’architecte genevoise relève “les défis de la densification”, notamment la nécessité de préserver un équilibre entre le plein et le vide, entre les constructions et les espaces verts. Elle milite pour des bâtiments ouverts sur l’espace public, dotés de balcons. Les deux projets en question forment les premiers pas du futur quartier Praille-Acacias-Vernets (PAV). Inès Lamunière estime que le geste architectural et urbanistique gagnera en qualité au fil des prochaines décennies. Son bureau a travaillé sur la Pointe Nord du PAV, au niveau de l’ancienne tour Firmenich, rénovée et désormais occupée par le Canton. Là, subsisteront des bâtiments industriels comme la Parfumerie ou la Gravière, “qui forment un patrimoine culturel riche, même si constructivement assez pauvre, mais pionnier”, résume la Genevoise.

“Je veux réinventer le concept de bureau”

La tour Pictet comme une ville

Le PAV ? L’architecte relève d’abord la singularité de cet immense espace, “une cité industrielle et logistique” installée en bordure de la ville. Elle est désormais promise à un autre futur, avec ses 12 000 logements qui sortiront de ce sol mou d’ici à 2060. Avec le Campus Pictet de Rochemont, sis le long de la route des Acacias, Inès Lamunière pose la plus grande pierre de sa carrière. Tout semble grand, d’ailleurs, dans ce projet porté par un établissement bancaire des plus puissants. Le Campus, ce sera d’abord une tour effilée qui culmine à 91 mètres au-dessus d’une forme d’îlot-socle à 30 mètres… Un format pas très usuel, commente-t-elle. D’où une volonté de l’étirer. L’ambition du bureau genevois est de créer un immeuble-ville, qui offrira une circulation entre ses étages, pour que ses 2 500 usagers et usagères se croisent et se parlent. “L’intérieur verra tout à coup la présence des triples hauteurs, des étages ouverts, en cascade, que l’on parcourra sans ascenseur”, explique Inès Lamunière, cette férue d’enseignement qui souhaite “réinventer le concept de bureau”. La tour bénéficiera d’un restaurant, d’une terrasse panoramique, d’un auditorium. Voilà pour la petite échelle. La grande concerne le visage extérieur de la tour. Tout a donc été fait pour que sa silhouette s’affine visuellement, qu’elle puisse pour ainsi dire disparaître dans le ciel. Pour y arriver, le bureau d’Inès Lamunière a utilisé des notions appartenant au domaine de l’illusion optique. “La trame de la grille du bâtiment se resserrera au fur et à mesure que la tour s’élève. En bas, la profondeur des pourtours des fenêtres projettera des ombres. Cet effet ira décroissant”, détaille la bâtisseuse, faite chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres en 2017.

La future cour int.rieure du Campus Pictet de Rochemont. Image : dl-a.

Gare Cornavin ? un chantier complexe

L’autre grand projet en cours du bureau genevois se déroulera sous terre. Il concerne l’aménagement des espaces autour et au-dessus de la gare CFF de Cornavin, qui accueillera un quai souterrain et deux nouvelles voies sur 400 mètres de long. “Je parle avec des ingénieurs, il faut penser trains, rails, piliers, c’est du lourd”, résume cette professeure honoraire de l’EPFL. Objectif de ce mandat ? Faire en sorte que les personnes entrant et sortant des trains par vagues “se sentent bien dans cet espace”. Le projet en question passera par la construction d’une mezzanine, entre les quais et le rez-de-chaussée de la gare. Le bureau a prévu des espaces clairs et des transparences entre les niveaux, pour aérer cet ensemble où se mêleront logistique pure et humain. L’autorisation de construire devrait être déposée fin 2026. Rue Liotard, le bureau designlab-architecture intègre une section entièrement dédiée à ce projet, qui regroupe une douzaine de jeunes architectes et bourdonne comme un transformateur. La salle de réunion de cette annexe affiche un immense plan longitudinal où zigzaguent des milliers de traits noirs et rouges. “C’est un projet complexe”, confirme Inès Lamunière.

Article tiré

du N°

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